Une visite ministérielle faite de concret et d’espoir



Institutions, un équilibre institutionnel à revoir

Il y avait la nécessité de remettre tous les partenaires autour d’une seule et même table. Celle aussi d’évoquer le brûlant sujet du corps électoral pour les élections provinciales. Mais la visite de Gérald Darmanin et de Jean-François Carenco, du 1er au 4 juin, aura également permis de faire un bilan du passé, celui de l’accord de Nouméa et de la décolonisation, afin de mieux se projeter vers l’avenir, en mettant notamment en place de nouveaux contrats de développement axés sur l’environnement, la transition énergétique et les grandes infrastructures. De quoi permettre d’imaginer la Calédonie de demain plus équitable, notamment entre les provinces.

« L’État investira 36 milliards de francs, ce qui représente un effort exceptionnel pour poursuivre son soutien aux collectivités calédoniennes. » L’annonce a été faite le soir du départ de Gérald Darmanin et de Jean-François Carenco du Caillou, le 4 juin, au terme de nombreuses rencontres et de discussions avec les partenaires loyalistes et indépendantistes autour du futur statut de la Nouvelle-Calédonie. Comme un nouveau signe du soutien de l’État avant de décoller pour rejoindre Paris.

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a en effet signé « le mandat de négociation qui permettra auHaut-commissairedelaRépublique en Nouvelle-Calédonie de discuter avec les collectivités du contrat de développement » pour la période 2024-2027.

Des contrats de développement “nouvelle version” qui sont, aux yeux de Christopher Gygès, membre du gouvernement notamment en charge de la transition énergétique, « une petite révolution ».

« Le réchauffement climatique concerne tous les Calédoniens. »

Par leur nombre déjà. Il y en avait 10 pour la période 2017-2023. Ils seront concentrés sur 4 entre 2024 et 2027.

« C’est aussi une véritable avancée, souligne Christopher Gygès, car ces contrats étaient des outils importants pour développer la Nouvelle- Calédonie, mais ils étaient extrêmement complexes. Il s’agira cette fois-ci de contrats simplifiés et le Haut-commissaire de la République disposera d’une marge de manœuvre nécessaire pour que cela aille beaucoup plus vite. »

En d’autres termes, un gain de temps assuré en instruisant les dossiers ici, plutôt qu’à Paris. Autre avantage, « autrefois, lorsqu’une des collectivités impliquées ne souhaitait pas que le dossier avance, elle pouvait le bloquer.

Aujourd’hui, ce sont des contrats pensés par les collectivités avec des objectifs qu’elles auront elles-mêmes validés. »

« Le pouvoir d’achat est la principale préoccupation des Calédoniens et la mise en place de projets en ce sens pourra nous permettre d’y répondre »

Pour cette nouvelle période, l’État a précisé que la transition écologique devra être au cœur de cette contractualisation et l’ensemble des thématiques qui la composeront devront en tenir compte : enseignement supérieur, accès aux infrastructures et continuité territoriale, transition énergétique, soutien au développement économique et touristique…

« Les enjeux sont importants. Sur la partie écologique, le ministre a fait des annonces à Ouvéa qui est directement menacé par le réchauffement climatique. Mais ce phénomène concerne tous les Calédoniens. Il suffit de constater également les dégâts au Phare Amédée lors du dernier coup d’Ouest, ou de voir ce qu’il s’est passé à l’île Ouen ou à l’île des Pins, rappelle Christopher Gygès. Bien sûr la province Sud est intervenue rapidement, mais on se rend bien compte que les collectivités de Nouvelle-Calédonie ne pourront pas faire face sans l’aide de l’État. »

La transition énergétique peut également devenir synonyme d’une facture d’électricité réduite. « Le pouvoir d’achat est la principale préoccupation des Calédoniens et la mise en place de projets en ce sens pourra nous permettre d’y répondre »

Un rééquilibrage au détriment de la province Sud

« Le bilan de l’accord de Nouméa est plutôt bon dans le sens où il devait améliorer le niveau de vie des gens qui résident dans le Nord et dans les Îles, analyse la présidente de la province Sud. Mais il y a tout de même des points noirs. » Le document de 72 pages produit par l’État faisant le bilan de l’accord de Nouméa en atteste : la collectivité qu’elle dirige est devenue, au fil des années, la grande perdante des accords, notamment au niveau de la clé de répartition

Pourquoi ? « L’accord n’a pas prévu de mécanisme d’ajustement de la clé de répartition pour tenir compte des évolutions démographiques, indique le document. La question du niveau légitime et acceptable du rééquilibrage politique se pose désormais. D’autant que la majorité des Kanak vit désormais (2019) en province Sud contre 39 % en 1996. » Une réalité qui a des conséquences chiffrées : en province Sud, apprend-on dans le document de l’État, une perte de revenu socialisé (prestations et aides) d’environ 80 000 francs par personne en moyenne et par an sur la période 1998-2019 est constatée.

« Les habitants de la province Sud ont versé 300 milliards au Nord et aux Îles. »

Autrement dit, si le budget de répartition avait été alloué aux provinces uniquement sur des bases démographiques, chaque habitant de la province Sud aurait dû bénéficier d’un supplément de revenu de 80 000 francs par an (ce revenu pouvant être perçu en espèces ou en nature). « D’un autre côté, le système des clés de répartition a permis d’accroître très sensiblement le revenu des agents résidant en province Nord (+172 000 francs en moyenne et par habitant sur la période) et, plus encore, dans la province des Iles (325 000 francs en moyenne annuelle).»

L’État conclut que les transferts de rééquilibrage ont été supportés par la seule province Sud, « Une évolution imputable à une progression démographique plus rapide dans la province Sud qu’au Nord et dans les Îles ; la province Sud rassemblant 68% de la population totale au début de la mise en œuvre de l’accord contre 75% aujourd’hui. »

Pour l’exécutif, cet écueil devra disparaître avec le prochain statut de la Nouvelle-Calédonie.  « Le résultat du rééquilibrage est que les habitants de la province Sud ont versé 300 milliards au Nord et aux Îles et au final, des gens sont venus massivement s’installer dans le Sud. Évidemment le niveau de vie du Nord et des Îles a augmenté car la clé de répartition est restée la même. Mais nous devons absolument nous interroger sur le bien- fondé d’un rééquilibrage de ce type. Qu’on dise qu’il faut aider car il y a un besoin de développement économique et des infrastructures, oui. Mais il faut que les gens se fixent et puissent rester en province Nord et des Îles ».

Les transferts de rééquilibrage (au titre du budget de fonctionnement) se sont traduits, en province Sud, par une perte de revenu d’environ 80 000 francs par personne en moyenne et par an sur la période 1998-2019. Si le budget de répartition avait été alloué aux provinces uniquement sur des bases démographiques, chaque habitant de la province Sud aurait dû bénéficier d’un supplément de revenu (prestations et aides) de 80 000 par an.

Un modèle démocratique qui pose question

Les élections provinciales auront bien lieu l’année prochaine avec un corps électoral dégelé. Plus de 11 000 natifs, jusqu’ici exclus, pourront enfin glisser leur bulletin dans l’urne.
Voilà les certitudes apportées par Gérald Darmanin. Les discussions sont certes loin d’être finies, mais les bases semblent bel et bien posées. Une avancée remarquable pour la démocratie en Nouvelle-Calédonie et une échéance électorale majeure. « Les élections provinciales sont les élections au taux de participation le plus élevé en Nouvelle-Calédonie, devant les élections nationales, peut-on lire dans le document sur le bilan de l’accord de Nouméa produit par l’État. Les taux de participation entre provinces tendent par ailleurs à converger. À l’instar d’autres démocraties, le taux de participation est en baisse mais reste élevé (66 % en 2019). Plus d’une dizaine de partis sont représentés au congrès. Les élections aux provinces et au congrès n’ont jamais fait l’objet de boycott et constituent le temps fort de la vie politique locale. Aucun groupe politique représenté au congrès ne remet en cause l’architecture institutionnelle actuelle, même si des propositions d’ajustement sont formulées.»

Discussions essentielles après la réforme constitutionnelle

Ces propositions d’ajustement ? Elles sont aussi formulées en fonction d’une évolution démographique non prise en compte. Là aussi, la réprésentativité initialement prévue avait permis de mieux représenter les provinces des Îles et du Nord. Mais avec l’installation massive des habitants dans le Sud, cet écart de réprésentativité au congrès s’est creusé.

En 2019, lors des dernières élections provinciales, un élu de la province Sud représentait 3391 électeurs dans l’hémicycle Boulevard Vauban.  Celui de la province Nord, 3029 électeurs et celui des Îles, 2661 électeurs… Cela a forcément des conséquences sur le  paysage politique, véritablement en défaveur de la collectivité du Sud, déjà victime d’une clé de répartition obsolète. « La réforme constitutionnelle doit bien évidemment dégeler le corps électoral, mais également ouvrir la porte à la modification de nos institutions, explique la présidente de la province Sud. Il s’agira ensuite de savoir comment on fait pour que le poids de chacun (les trois provinces) soit respecté, comment faire pour que la population du Sud ne soit pas appauvrie… »

Une collectivité décide, l’autre l’empêche, c’est absurde. On arrive au bout de l’exercice.

Ces discussions doivent également être l’occasion de revoir la répartition des compétences. Ce bilan pointe un « manque de clarté dans la répartition » qui s’avère « peu lisible non seulement pour les citoyens mais pour les institutions elles- mêmes qui continuent de s’interroger sur le périmètre exact de leurs compétences. » Cette incompréhension dépasse les clivages politiques et a de réels impacts sur l’économie calédonienne.

« Je ne pense pas que qui que ce soit puisse dire que la Nouvelle-Calédonie va bien sur le plan de ses institutions politiques. Aucune réforme majeure n’est malheureusement en route, par exemple pour lutter contre la vie chère ou relancer l’économie… Les croisements de compétences posent problème, analyse la présidente de l’assemblée de la province Sud. Quand Louis Mapou au gouvernement donne l’autorisation d’export de nickel pour la SLN et qu’en parallèle, Paul Néaoutyine en province Nord refuse les “permitting”, qui permettaient à la SLN d’extraire le nickel pour l’exporter… on arrive au bout de l’exercice ! Une collectivité décide, l’autre empêche, c’est absurde. Il faut que la Calédonie fonctionne et améliore le quotidien des Calédoniens. »

SI L’ON TENAIT COMPTE DU NOMBRE D’HABITANTS

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