Toutes les collectivités ne sont pas mal gérées, preuve en est !



Une institution que se porte bien financièrement en Nouvelle-Calédonie ? Oui, cela existe. En réduisant son train de vie et son budget de fonctionnement, la Province pourra encore augmenter son niveau d’investissement à près de 14 milliards, ce qui en fait le premier investisseur public de Calédonie. Le débat d’orientation budgétaire de la province Sud qui s’est déroulé le 9 novembre a permis de constater qu’une gestion prudente et rigoureuse permettait d’engager des politiques ambitieuses. Mais maintenir une santé financière relève pourtant du travail d’équilibriste pour la Province, qui doit composer avec une clé de répartition clairement en sa défaveur et une absence totale de visibilité fiscale de la part de la part de la Nouvelle-Calédonie. Explication.


C’est un temps, dans une collectivité, qui ne suscite pas forcément grand intérêt chez la plupart des administrés. Une discussion où les chiffres se succèdent et sont parfois âprement commentés par les élus. Pourtant, le Débat d’orientation budgétaire (DOB), est tout ce qu’il y a de plus concret.

Il permet de connaître l’état de santé d’une collectivité et de prendre connaissance de la politique que celle-ci souhaite mener sur les 12 prochains mois. Cette discussion, préalable au vote du budget, permet de savoir si les élus portés aux responsabilités ont rempli le contrat pour lequel ils s’étaient engagés. Jeudi 9 novembre, les conseillers de la province Sud se sont réunis en ce sens. De quoi tirer d’abord d’importants enseignements. À l’heure où certaines collectivités calédoniennes aussi importantes que le gouvernement affichent des taux d’endettement record les contraignant à baisser leur investissement, la Maison bleue tient le choc.

Fin 2022, la collectivité a fait état d’une situation financière satisfaisante avec notamment une épargne établie à 18 % de ses recettes de fonctionnement et un fonds de roulement de 61 jours de paiement contre 9 en 2019.

 

Réduire son propre train de vie

La reconstitution progressive du résultat global de clôture, témoigne d’une gestion rigoureuse et adaptée à un contexte fiscal des plus incertains.

Un redressement financier qui lui permet de rester le premier investisseur public de NouvelleCalédonie en investissant au delà de 12 milliards, soit une progression de 25 % par rapport au début de la mandature. Tandis que toutes les collectivités cherchent à réduire, souvent sans succès, leur endettement, comment la Province a-t-elle réussi à redresser la situation ? Sans surprise, en réduisant son propre train de vie. En l’espace de 3 ans, elle a dû réduire son budget de fonctionnement de 9 % générant ainsi une économie de 3,8 milliards de francs pour retrouver un niveau d’épargne permettant d’assurer un équilibre pérenne.

Ce bilan satisfaisant permet de fixer les priorités qui s’imposent. Face à une politique de fiscalité galopante menée par le gouvernement, la Province a décidé de maintenir ses investissements pour la relance économique. Une politique à « contre-courant » de celle menée par la Nouvelle-Calédonie, qui ressemble plus à une mesure d’urgence.

« Nous avons supprimé 150 postes à la province tandis qu’au gouvernement, ils en ont supprimé zéro, déplore Sonia Backès. Ils ne font aucune économie de dépenses, et lancent des réformes fiscales en espérant qu’elles vont rapporter de l’argent. »

« Nous avons supprimé 150 postes à la Province tandis qu’au gouvernement, ils en ont supprimé zéro. »

Les 914 millions pour le soutien à l’emploi et à la formation professionnelle et les 2,8 milliards injectés pour les infrastructures routières aériennes et maritimes cette année ont permis à la Province de contenir une situation qui se dégrade depuis 4 ans sur le territoire. 

La synthèse annuelle des salaires, publiée par l’Isee, fait même état d’une une chute de 4,5 % du pouvoir d’achat salarial. « Les cotisations sociales augmentent pour l’ensemble des salariés du territoire : la contribution calédonienne de solidarité passe de 1 % à 1,3 % en octobre 2021, puis à 2 % en juillet 2022, énumère l’Institut des statistiques. Certains salariés paient davantage de cotisations en raison du relèvement du plafond de la tranche 1 du Ruamm, au 1er janvier 2022 (…) et les fonctionnaires de la Nouvelle-Calédonie doivent en outre cotiser davantage depuis mai 2021 à la caisse locale de retraites. » Ajoutez à cela une considérable hausse des prix et « compte tenu des mesures prises pour réduire le déficit des caisses de sécurité sociale et de retraites, même le personnel occupant durablement un poste n’a pu maintenir son pouvoir d’achat en 2022. »

Une relance tenue à bout de bras

La relance économique restera donc tenue à bout de bras par une seule collectivité. Et d’autres batailles pour défendre le pouvoir d’achat des Calédoniens vont se dérouler au Congrès notamment.  « Il y a des réformes qui sont nécessaires, ça a été le cas de celle de la Caisse de retraites des fonctionnaires qui avaient besoin d’évoluer et qu’on a voté. Et puis, il y a des réformes qui sont extrêmement dangereuses, qui sont proposées, c’est celle du RUAMM, vous le savez, qu’on conteste, puis celle, bien pire, de l’impôt sur le revenu qui est en train d’arriver, prévient la présidente de la province Sud. Si cette réforme passe, elle mettra à terre l’économie calédonienne. Ceux qui sont dans le monde économique le savent, c’est l’intégration des revenus, des capitaux mobiliers dans l’impôt sur le revenu. C’est-à-dire qu’il y aura des personnes en Nouvelle-Calédonie qui vont payer jusqu’à 70 % d’impôts, c’est de la folie. »

 

Le rééquilibrage et l’instabilité fiscale mettent en danger la Province

Composer avec l’injustice et l’incertitude, maintenir l’investissement pour aider les entreprises, puis relancer une économie plombée par un marasme persistant.

Sans surprise, les membres de l’exécutif tirent la sonette d’alarme face à une situation qui empire au fil des années. « Nous sommes confrontés à quelque chose de nouveau, déplore le premier vice-président de la collectivité, Philippe Blaise. Il s’agit de l’extrême instabilité des prévisions du gouvernement qui entrent dans l’assiette de répartition. L’année dernière, des réajustements ont été faits au dernier moment en notre faveur [la Province s’est vue verser 32, 4 milliards de francs au lieu des 27,3 milliards prévus, NDLR]. Cela pourrait laisser penser que c’est une bonne nouvelle, sauf qu’ils n’ont pas pu être retranscris au budget supplémentaire. Cette incapacité du gouvernement à nous donner des prévisions sur lesquelles nous pouvons construire un budget pénalise notre action provinciale. »

« Il y a 25 ans, 66 % de la population vivait en province Sud. Celle-ci accueille à présent 75 % de la population et il y est généré 92 % des recettes fiscales. »

L’action de la province Sud est pourtant essentielle, puisqu’avec un endettement de 23 milliards de francs, contre 80 pour celui du gouvernement, la Maison bleue est la seule capable d’avoir une marge de manœuvre pour soutenir l’activité.  Même avec le boulet permanent au pied que constitue la clé de répartition. « Je ne dis pas qu’il faut arrêter le rééquilibrage, précise d’emblée la présidente de la province Sud, Sonia Backès. Mais le bilan de l’Accord de Nouméa fait état de 300 milliards de plus accordés à la province Nord et à la province des Îles qu’en province Sud. Il y a 25 ans, près de 66% de la population vivait en province Sud. Celle-ci accueille à présent 75 % de la population et il y est généré 92 % des recettes fiscales. Cela veut dire que les milliards déversés dans le Nord et les Îles n’ont pas empêché un grand nombre d’habitants de s’installer dans le Sud. »

Pour la responsable, personne ne doit remettre en cause le principe mais plutôt ses modalités. « Il y a par exemple six fois plus de fonctionnaires par habitant en province des Îles qu’en province Sud. Est-ce ce que l’on souhaitait avec le rééquilibrage ? Je crois qu’on voulait plutôt du développement économique et fixer les populations autrement qu’en donnant des postes de fonctionnaires. »

Beaucoup d’interrogations demeurent. Et le travail de rigueur mené par une seule institution ne suffira plus à compenser les carences des autres. « Si nous revenions à la proposition de partage qui avait été faite aux accords précédents en tenant compte de l’évolution de la population, nous arriverions, sur 5 ans, à une nouvelle répartition qui viendrait impacter positivement les comptes de la province Sud à hauteur de 4 milliards», souligne la présidente de la province Sud. Cette situation a été largement évoquée dans le document produit par l’État faisant le bilan de l’Accord de Nouméa présenté au mois de juin lors de la venue du ministre de l’Intérieur et des  Outre-Mer, Gérald Darmanin. 

80 000 francs de moins  pour chaque habitant de la province Sud

« L’Accord n’a pas prévu de mécanisme d’ajustement de la clé de répartition pour tenir compte des évolutions démographiques, indique le document. La question du niveau légitime et acceptable du rééquilibrage politique se pose désormais. D’autant que la majorité des Kanak vit désormais (2019) en province Sud contre 39 % en 1996. »

Une réalité qui a des conséquences chiffrées : les transferts de rééquilibrage (au titre du budget de fonctionnement) se sont traduits en province Sud, apprend-on dans le document de l’État, par une perte de revenu socialisé d’environ 80 000 francs par personne en moyenne et par an sur la période 1998-2019.  Autrement dit, si le budget de répartition avait été alloué aux provinces uniquement sur des bases démographiques, chaque habitant de la province Sud aurait dû bénéficier d’un supplément de revenu de  80 000 francs par an (ce revenu pouvant être perçu en espèce ou en nature). « D’un autre côté, le système des clés de répartition a permis d’accroître très sensiblement le revenu habitants en province Nord (+172 000 francs en moyenne et par habitant sur la période) et, plus encore, dans la province des Îles (325 000 francs en moyenne annuelle). Cette situation n’est plus acceptable.»

 

« Ceux qui ont fait les efforts ne peuvent pas tout assumer »

Depuis 35 ans, la Calédonie dispose de trois étages de collectivités : les communes, les provinces et le gouvernement. Le gouvernement s’occupe des impôts, de la protection sociale ou encore de l’enseignement secondaire. Les provinces se chargent notamment de l’enseignement primaire, du développement économique, du logement social ou encore de l’environnement.

Des retards de versements du gouvernement

Sur le papier, cela semble simple. Sauf qu’au fil des années, les provinces, et notamment la province Sud, ont été contraintes de pallier les manques. La situation n’est aujourd’hui plus tenable pour la Maison bleue dont l’exécutif rappelle que le travail de rigueur mené par une seule institution ne suffira plus à compenser les carences des autres. « Si nous regardons la situation actuelle [le 9 novembre, NDLR], nous avons en caisse 2,7 milliards pour plus de 6 milliards à payer à la fin du mois de novembre, analysait la présidente de la province Sud en assemblée, Sonia Backès. Mais à l’heure où je vous parle, le gouvernement nous devait 7,4 milliards auxquels s’ajoutent 4,1 autres milliards qu’ils doivent nous payer ce mois-ci. En plus d’une instabilité des prévisions, nous subissons celle des versements de la Nouvelle-Calédonie. »

Et malgré ces retards de paiements, les évolutions démographiques conduisent à faire le constat d’une province Sud qui doit de prendre en charge une grande partie de la population de la Nouvelle-Calédonie dans de nombreux secteurs comme l’éducation, le logement, les aides sociales, mais aussi la jeunesse, l’insertion et l’emploi ou la santé de proximité. Pour la présidente, ce n’est pas « parce que la Province a bien géré que c’est finalement elle qui doit payer. Ceux qui ont fait les efforts ne peuvent pas tout assumer. Il faut faire passer ce message-là. »

 

Aide médicale et enseignement privé au menu du GTPE

L’enchevêtrement des compétences amène souvent la Province à régler des sommes pour permettre de faire fonctionner des services qui ne sont pas de son ressort. Les frontières entre les compétences du gouvernement et des Provinces étant imprécises en fonctions des avis rendus par le Conseil d’État. À titre d’exemple cette année, la charge nette issue des dépenses de santé dans le cadre de l’aide médicale représente un volume financier en dehors de 3,5 milliards à la seule charge de la province Sud alors que la protection sociale est une compétence de la Nouvelle-Calédonie. La Province l’assume pour son compte sans que, jusqu’à présent, elle n’y mette le moindre franc. 

Cette année l’avenir de l’enseignement privé s’est lui aussi retrouvé en suspens durant plusieurs mois. C’est à la suite d’une mobilisation de la Direction diocésaine de l’enseignement catholique (DDEC) le 12 mai que le gouvernement a convoqué un Groupe de travail des présidents d’exécutif (GTPE) pour trouver une solution pour le financement pérenne de l’enseignement privé en Nouvelle-Calédonie, réclamé depuis le début de la mandature par la province Sud.

Les champs d’action de la province Sud

 

« Une carte vitale et un service unique pour réaliser une économie supérieure à 2 milliards de francs. »

Pour mémoire, le rapport sur l’enseignement privé de 2020 de la Chambre territoriale des comptes pointait déjà le fait que les premiers financeurs publics restaient les provinces, « qui n’ont aucune obligation juridique pour ces interventions, contrairement à la Nouvelle-Calédonie et aux communes ». Il aura fallu que les établissements soient sous la menace imminente d’une fermeture pour qu’un accord soit trouvé pour l’année 2024. Ce qui n’a pas empêché la Province de verser 300 millions de francs supplémentaires en juin, en plus d’une enveloppe de 130 millions à la DDEC en urgence pour sauver les emplois en mai, pour maintenir l’activité des structures.

Un accord des présidents d’exécutifs a finalement été trouver pour l’enseignement. Le GTPE du 16 novembre a également abordé le sujet de l’aide médicale à la demande de la province Sud. « Nous avons avancé sur le regroupement des aides médicales au sein d’une seule structure, souligne Sonia Backès la présidente de la province Sud, pour arriver à la mise en place d’une carte vitale et d’un service unique qui peuvent permettre d’arriver à une économie supérieure à 2 milliards ! » De bon augure. Car faire avec 50 % des dotations (32 % pour la province Nord, 18 % pour la province des Îles) alors que l’on recense 75 % de la population Calédonienne et qu’on génère 92 % des recettes fiscales passait encore. Réussir à rester le premier investisseur du territoire tout en conservant un endettement raisonnable relevait d’un travail d’équilibriste. Mais assumer des compétences pour pallier les manquements d’autres institutions, sans avoir la main sur la fiscalité, rendait l’équation insoluble.

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