Soutenue par la Province, l’association Truly traque les pédocriminels sur les réseaux sociaux



En Nouvelle-Calédonie comme partout ailleurs, la pédocriminalité frappe n’importe où, n’importe quand. Et avec l’explosion des réseaux sociaux, entrer en contact avec un mineur est à la portée de tous les prédateurs sexuels. Pour traquer ces criminels, un collectif s’est monté sur le Caillou. Subventionnée par la province Sud pour l’achat de matériel informatique, l’association baptisée Truly s’est constituée fin 2021 pour lutter contre la pédocriminalité. À l’initiative de cette démarche, un père de famille qui a décidé d’agir pour mettre les pédocriminels hors d’état de nuire.


Nom d’emprunt : Brad – activité : intercepteur de pédocriminel – Nombre de dossiers déposés au tribunal : 11 en Nouvelle-Calédonie. « Je suis papa et j’en suis venu à faire de l’interception parce que j’ai trois enfants dont une fille qui a 13 ans, l’âge où l’on commence à se mettre sur les réseaux sociaux », confie-t-il. Il y a deux ans, un événement a changé la vie de ce père de famille. Âgée alors de 11 ans, sa fille reçoit une invitation sur Facebook d’un adulte qu’elle ne connaît pas. « Elle est venue m’en parler, j’ai trouvé ça bizarre, alors je me suis fait passer pour elle afin de discuter avec ce monsieur et connaître ses intentions. Très vite, je me suis rendu compte qu’il ne voulait pas parler de la pluie et du beau temps et qu’il avait un but purement sexuel. » Sidéré par la démarche sans équivoque de l’inconnu, Brad l’a simplement bloqué sur le profil de sa fille. Cependant, cette situation le tracasse suffisamment pour le pousser à faire des recherches sur Internet. Il apprend ainsi qu’il existe des structures spécialisées dans l’interception de pédocriminels. « Je l’avais bloqué mais il était évident qu’il allait recommencer avec une autre petite fille. J’ai donc décidé de me rapprocher d’un collectif appelé Team Moore dont la mission est de lutter contre la pédocriminalité sur Internet. » Pour Brad, cette démarche est avant tout citoyenne. « Pour vous donner une idée, en France, il existe environ 7 millions de comptes Facebook de jeunes entre 13 et 15 ans, et environ 20 et 30 gendarmes spécialisés dans la lutte contre la cybercriminalité. Il est clair qu’ils ne s’en sortent pas ! »

Compromettre les pédocriminels pour les remettre à la justice

Au moment des faits, Brad n’était pas informé sur le sujet et ne savait pas ce qu’il avait le droit de faire ou pas. « Il faut quand même faire attention parce qu’on pourrait se retrouver au tribunal à la place de ces gens-là si l’on fait une erreur de procédure comme de les hameçonner car ce serait de l’incitation », alerte-t-il. Depuis, Brad s’est formé et a constitué un collectif en septembre 2020. Sa mission : mettre en ligne des profils d’enfants virtuels, afin de compromettre numériquement des pédocriminels pour les remettre à la justice. Cette technique est identique à celle utilisée par les forces de l’ordre. La méthode respecte les bases juridiques très précises, pour ne pas se retrouver en infraction et remettre des éléments judiciarisables aux autorités compétentes.

Fin 2021, le collectif s’organise en association baptisée Truly.  « Il y a beaucoup de choses à connaître, on ne peut pas se lancer dans l’interception sans être formé, affirme-t-il. J’ai mis en place un serveur en ligne destiné aux bénévoles de notre association pour faire de l’interception. Cela comprend des tutos pour créer de faux profils, savoir comment parler aux prédateurs sexuels, savoir quelles photos utilisées, ainsi que les textes de lois de référence. »

Sur la toile, la pédocriminalité n’a pas de frontière, aussi Brad veut se concentrer principalement sur les cas locaux. Il alimente depuis un an et demi le faux profil d’une jeune fille calédonienne âgée de 14 ans prénommée Mélodie. « Quelqu’un qui n’est pas averti ne verrait pas la différence avec un vrai profil. Après, ce sont les algorithmes de Facebook qui font le reste. »

Brad ne s’attendait à avoir autant de demandes d’ami sur Facebook. « J’ai déjà 1 200 contacts et pas qu’au niveau local. Je reçois environ 20 demandes d’ajout par jour », ajoute-t-il.

Les photos qu’il utilise pour alimenter ce faux profil sont parfaitement légales : « J’achète sur des sites spécialisés des photos de mannequins ou de modèles à l’autre bout de la planète qui sont majeurs maintenant. »

Le constat est effarant : « Tant qu’on ne travaille pas dedans, on ne s’en rend pas compte mais il y a beaucoup de prédateurs en Calédonie. Ils sont de toutes catégories sociales. Cela pourrait être votre voisin. Il y a des jeunes mais aussi des très vieux. Il n’y a pas de profil psychologique type », constate Brad.


Entre les mains de la justice

L’intercepteur travaille en étroite collaboration avec la justice. « J’envoie mon signalement au procureur de la République Yves Dupas. Après vérification de la recevabilité du signalement ce dernier l’envoie à la gendarmerie ou à la police et je suis ensuite convoqué pour l’audition. »

Comment ce père de famille sans histoire s’est-il transformé en super intercepteur de pédocriminels ? il répond : « Je veux que mes enfants puissent aller sur Internet en toute tranquillité. Le constat est effrayant. À partir du moment où un enfant va sur Internet, il est susceptible d’être contacté par un pédocriminel. Je suis convaincu que sur le territoire, un enfant sur deux a déjà reçu au moins une invitation d’un pédocriminel. C’est terrible ! »

La dernière affaire date de juillet. Brad raconte : « C’est un monsieur de 71 ans qui a envoyé une invitation un jeudi à Mélodie. Il a commencé à me parler via ce faux profil le lendemain. Le samedi il était au collège en train de faire des repérages pour la rencontrer. » Les propos de l’homme étaient sans aucun doute possible à caractère sexuel. « Le lundi suivant, j’ai envoyé le signalement au Parquet, et deux jours plus tard, il a été arrêté. » Le septuagénaire s’est retrouvé à la barre des accusés pour le délit de « propositions sexuelles faites sur mineur par un moyen de communication numérique. » Même si la victime n’existe pas, l’acte est punissable. L’homme a été condamné à huit mois de prison, qui se sont transformés en une obligation de porter un bracelet électronique à la maison.

Actuellement, l’association Truly a initié 80 procédures au niveau du globe, dont 11 en Nouvelle-Calédonie. 5 affaires ont déjà été jugées et condamnées. Deux procès sont prévus avant la fin de l’année et 4 procédures sont en cours d’instruction.

« On s’efforce de parler à ces individus potentiellement dangereux tous les jours car on se dit que tant qu’ils nous parlent, ils laissent les enfants tranquilles », confie Brad. « Le conseil que je donnerais aux parents, c’est de discuter avec leurs enfants et je pense aussi qu’il faudrait faire de l’information dans les collèges. »


La subvention provinciale

L’association Truly a reçu une subvention de 1,6 million de francs cette année pour l’achat d’équipement de matériel informatique. Auparavant, Brad et son équipe utilisaient des ordinateurs personnels à usage familial. Un mélange des genres qui n’est pas approprié reconnaît-il : « Nous stockons des choses pas très sympas et je ne voudrais pas qu’un de mes enfants tombe dessus. Grâce à la subvention provinciale, nous avons pu acquérir du matériel informatique destiné à l’interception et à l’enquête. L’interception pour créer des profils et communiquer avec les pédocriminels, l’enquête pour réaliser tout le travail de recherche afin d’identifier la personne et la localiser, et enfin faire le montage du dossier. ».


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